Guerre en Ukraine : la nouvelle géopolitique des blocs (Le Monde, 22 septembre)

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Guerre en Ukraine : la nouvelle géopolitique des blocs

Les alliances qui se reconstituent autour du conflit russo-ukrainien recoupent en partie celles de la guerre froide, mais sont beaucoup plus mouvantes.

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Publié aujourd’hui à 07h00, mis à jour à 07h00

Exposition des véhicules militaires russes capturés par l’armée ukrainienne, dans le centre de Kiev, pour célébrer l’anniversaire de l’indépendance du pays, le 24 août 2022, soit six mois jour pour jour après le début de l’invasion russe. Exposition des véhicules militaires russes capturés par l’armée ukrainienne, dans le centre de Kiev, pour célébrer l’anniversaire de l’indépendance du pays, le 24 août 2022, soit six mois jour pour jour après le début de l’invasion russe.


L’agression russe contre l’Ukraine marque la fin de l’après-guerre froide et du rêve, déjà bien mal en point depuis l’annexion par Moscou de la Crimée en 2014, d’un vaste ensemble européen auquel la Russie serait, d’une manière ou d’une autre, associée. Les blocs sont de retour en Europe. Mais la ligne de partage est déplacée de quelque 2 000 kilomètres à l’est de celle dénoncée par Winston Churchill, le 5 mars 1946, lors d’un célèbre discours à l’université de Fulton, dans le Missouri.

« De Stettin, sur la Baltique, à Trieste, sur l’Adriatique, un rideau de fer est tombé sur l’Europe », lançait le « Vieux Lion » qui avait quitté le pouvoir huit mois plus tôt. Il mettait en garde contre le nouveau péril menaçant une Europe en ruine qui venait de triompher du nazisme. C’était le début d’un affrontement Est-Ouest qui fut à la fois militaire, politique et idéologique, structurant l’ensemble des relations internationales pendant quarante ans. Il dura jusqu’en 1991 et la victoire par K.-O. du camp occidental.

La situation créée par le conflit désormais ouvert entre les Occidentaux et une Russie en bonne part soutenue par la Chine, même si les deux pays ne sont pas liés par une alliance militaire formelle, rappelle à bien des égards l’affrontement Est-Ouest de la seconde moitié du XXe siècle. Il oppose, comme alors, des régimes autoritaires aux démocraties.

« Par rapport aux enjeux globaux, cette guerre apparaît anachronique à ceux qui font rimer mondialisation et démilitarisation depuis 1991, c’est-à-dire fondamentalement les Européens » – Thomas Gomart, directeur de l’IFRI

L’expression « guerre froide », qui tient de l’oxymore, apparut pour la première fois sous la plume de George Orwell, dans un très prémonitoire article de l’hebdomadaire britannique de gauche Tribune du 19 octobre 1945, prédisant qu’après les Américains, les Soviétiques auraient à leur tour la bombe et que se constituerait un équilibre de la terreur dans « un état permanent de guerre froide ». La peur de l’anéantissement réciproque avait garanti le statu quo en Europe, mais les guerres en Asie et en Afrique firent des millions de morts. Cette fois, l’épicentre est en Europe, une première depuis 1945.

« Avec le retour de la guerre de haute intensité, le continent européen perd un de ses avantages comparatifs dans la mondialisation, celui de la stabilité stratégique et d’être une région en paix », relève Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), soulignant que « par rapport aux enjeux globaux, cette guerre apparaît anachronique à ceux qui font rimer mondialisation et démilitarisation depuis 1991, c’est-à-dire fondamentalement les Européens, mais elle ne l’est pas pour ceux qui voient le monde à travers les rapports de force militaires, c’est-à-dire les Russes, les Chinois et les Américains ». Ce retour d’une guerre coloniale de conquête à l’ombre du nucléaire représente un changement de donne majeur.

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Ce qui se joue aujourd’hui sur les quelque 2 500 kilomètres de front de l’est de l’Ukraine, ce sont les futures lignes de séparation entre l’Union européenne et la Russie qui veut rétablir, comme avant 1989, une « frontière épaisse », selon l’expression de Sabine Dullin, autrice, notamment, du livre homonyme, La Frontière épaisse. Aux origines des politiques soviétiques. 1920-1940 (EHESS, 2014). « Les dirigeants russes, depuis les tsars jusqu’à Vladimir Poutine, ne cessent de vouloir repousser, notamment vers l’ouest, les frontières, de peur d’être en contact direct avec ce qu’ils perçoivent comme un adversaire », explique l’historienne.

C’était le rôle du glacis des démocraties populaires en Europe centrale et orientale entre 1944 et 1989. C’est aujourd’hui l’une des principales raisons pour lesquelles le Kremlin souhaite reprendre le contrôle de l’Ukraine ou du moins s’emparer de la plus grande partie possible de l’est et du sud-est de ce pays…

(…)

« Il vaut mieux accepter la réalité d’un continent divisé, alors que l’Ukraine, qui a échoué à incarner un rôle de pont ou de tampon entre la Russie et l’Ouest, aura perdu une partie de son territoire et de sa population », assure pour sa part Dmitri Trenin, un des meilleurs experts de politique étrangère russes, dans un article publié par Politique étrangère de l’été 2022. Dans le contexte actuel, il n’est pas possible à ses yeux d’imaginer une nouvelle grande conférence européenne comme celle de Helsinki, en 1975, pour une négociation sur une architecture de sécurité globale et une remise à plat des questions de frontières. Il appelle surtout à se concentrer pour éviter les risques de dérapages militaires, à ses yeux beaucoup plus importants que dans les années 1960, lors de la crise des missiles de Cuba, ou dans les années 1980, après l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge.

Face-à-face mondial

Même à l’époque de Staline, le pouvoir russe n’a jamais été aussi concentré entre les mains d’un seul homme qui affiche sa volonté de remettre en cause l’état de fait créé par l’effondrement de l’URSS. « Le régime soviétique était guidé, en fonction même de ses présupposés idéologiques, par la certitude de la “victoire finale du communisme”. On pouvait donc se montrer patient. Le président Poutine est, lui, un homme pressé. D’autre part, il n’est pas soumis à une “direction collégiale” dont les secrétaires généraux du PCUS [Parti communiste de l’Union soviétique] étaient obligés de tenir compte, et qui s’est montrée souvent prudente et en tout cas soucieuse d’éviter un conflit général avec l’Occident », s’inquiète l’historien Georges-Henri Soutou, auteur, notamment, de La Guerre froide. 1943-1990 (Pluriel, 2011).

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Dans le camp opposé, le président américian, Joe Biden, vétéran de la commission des affaires étrangères, est un homme qui s’est formé pendant la guerre froide et il en manie parfaitement la grammaire. Washington mène une politique d’« endiguement » avec un jeu d’alliances pour contenir l’avance adverse – comme celle théorisée en 1946 par le jeune diplomate américain George F. Kennan – et qui, aujourd’hui, vise la Russie mais aussi la Chine. Au grand dam des Européens, à commencer par le président Emmanuel Macron, qui veulent éviter une confrontation avec Pékin.

« Ce retour des blocs était en gestation depuis déjà quelque temps, conséquence de la politique toujours plus agressive de dirigeants autoritaires décidés à remettre en cause l’actuel statu quo comme Poutine à Moscou ou Xi Jinping à Pékin. Mais si la première guerre froide opposait les Etats-Unis à une URSS forte et une Chine faible, Joe Biden doit faire face à la fois à une Chine très forte et une Russie très agressive », note Michel Duclos, de l’Institut Montaigne.

A la différence de la première guerre froide, il y a certes la réalité de la mondialisation et de l’imbrication des économies. Mais, même si les camps ne sont pas, comme à l’époque, aussi idéologiquement structurés, le face-à-face est mondial.

« Avec la guerre en Ukraine, nous ne sommes qu’au début d’un affrontement qui s’annonce durable entre deux blocs, remettant en cause ce que l’on concevait comme une mondialisation inéluctable : d’un côté, un bloc occidental thalassocratique, conduit par Washington, englobant l’Europe et certains pays asiatiques, Japon en tête ; et de l’autre, un bloc eurasiatique continental, autour de Moscou et Pékin », estime Georges-Henri Soutou, soulignant que « l’enjeu est d’abord d’ordre géopolitique, et même territorial car il s’agit avant tout de puissance, de contrôle des ressources, et de rivalités autour de modèles économiques ».

Ce bloc eurasiatique, à commencer par la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping, se cimente sur un ressentiment anti-occidental que partagent nombre de pays d’Afrique et d’Asie. Tels les non-alignés des années 1960, ils se refusent à prendre parti. Et ils représentent une majorité de la population mondiale.

(…).

Renseignements et réservations : Normandiepourlapaix.fr

Dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le Forum mondial Normandie pour la paix.

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