Histoire - CHAPITRE 3 – LA SECONDE GUERRE MONDIALE - documents
Der Fuehrer's face (1943)
Der Fuehrer's face (1943)
« La Peur » : le pogrom de Kielce et l’antisémitisme en Pologne après la Shoah
En 2000, Jan Tomasz Gross, historien et sociologue américain d’origine polonaise, confrontait brutalement les Polonais à un pan occulté de leur histoire nationale en publiant une étude sur l’extermination des Juifs de Jedwabne, un shtetl de Podlasie, le 10 juillet 1941[1]. Gross montrait qu’une véritable conspiration du silence avait dissimulé la réalité de ce massacre, commis au début de l’invasion de l’Union soviétique, non par les nazis, mais par des Polonais, catholiques, mettant sauvagement à mort leurs voisins juifs, eux aussi citoyens polonais. De même que d’autres massacres, perpétrés à l’été 41 dans différentes localités de l’Est de la Pologne par des Polonais chrétiens contre des Juifs polonais, ce « pogrom oublié », même s’il avait été commis à l’instigation des Allemands, mettait en pièces l’image glorieuse de la nation résistante et martyre, victime des deux totalitarismes. Publié d’abord en polonais, puis en anglais, traduit ensuite en français, le livre de Gross déclenchait un intense débat national entre historiens et au sein du monde politique, poussant le gouvernement polonais à charger l’Institut de la Mémoire nationale (Instytut Pamięci Narodowej ou IPN) de mener une enquête. Le 10 juillet 2001, à Jedwabne, une cérémonie était organisée à la mémoire de cette communauté juive anéantie, avec la participation du président de la République – dont le discours très remarqué reconnaissait que le massacre avait été commis par des Polonais. Sans pour autant inciter les Polonais à admettre leur part de responsabilités dans l’extermination de 90 % de leurs concitoyens juifs par les nazis en 1939-1945, Jan Tomasz Gross a inspiré un renouveau de l’historiographie polonaise sur la Shoah, exprimant des points de vue plus critiques sur les attitudes de la population face à la « solution finale », et initiant un véritable débat à propos de l’antisémitisme.
Dans son dernier livre, Fear, « La peur », Gross évoque le pogrom de Kielce, le 4 juillet 1946, et propose une analyse historique de la vague de violences antisémites qui, après la défaite du nazisme, contribuent à chasser du pays la majorité des rescapés de la Shoah. L’auteur s’interroge : comment expliquer que dans l’immédiat après-guerre ceux qui ont caché des Juifs font le plus souvent tout pour éviter que leurs actes de solidarité soient connus des autres Polonais ? Pourtant, dès 1946, l’Église affirme avec orgueil que c’est grâce à la compassion chrétienne de leurs voisins polonais que tant de Juifs ont survécu...
Après ce bain de sang, qui, officiellement, coûte la vie à 42 Juifs, le Parti communiste essuie un échec retentissant lorsqu’il essaie de mobiliser les ouvriers contre les fauteurs de pogrom. Des milliers de travailleurs font grève à Lódź pour protester contre la condamnation à mort d’une poignée de responsables du massacre qui ont été arrêtés et sont condamnés au terme d’un procès expéditif, qui évite d’examiner les responsabilités des forces de l’ordre. Voyant que « les masses » manifestent clairement leur soutien aux responsables du pogrom, le secrétariat du comité central du Parti communiste, réuni fin juillet 46, propose de faciliter l’émigration des Juifs. Après Kielce, un projet de décret contre l’antisémitisme, qui avait été introduit en août 45 suite au pogrom de Cracovie, est définitivement classé sans suites par le pouvoir central. Stupéfaits par la barbarie du massacre, des intellectuels polonais s’insurgent, dénoncent l’antisémitisme qui infecte tous les niveaux de la société, mais leur discours reste minoritaire. Tout comme le rapport rédigé par Jan Karski en février 1940, informant le gouvernement polonais en exil que les mesures antisémites des nazis sont bien reçues par la population polonaise, l’indignation des intellectuels après le pogrom de Kielce n’aura aucune influence sur le cours ultérieur de l’histoire (…).
La hiérarchie de l’Église refuse de condamner cette vague d’antisémitisme. Seul l’évêque de Czestochowa, Mgr Kubina, a le courage de dénoncer publiquement les accusations de meurtres rituels et le pogrom de Kielce, mais il sera censuré par l’épiscopat. Le primat de Pologne, le cardinal Hlond, nie le caractère raciste de la tragédie, rappelle que les Juifs doivent la vie aux Polonais et affirme que ceux-ci sont les vraies victimes des persécutions du pouvoir communiste, auquel les Juifs sont étroitement associés. Un rapport officieux produit par l’évêque de Kielce attribue le pogrom à un complot juif destiné à forcer la main aux Anglais en Palestine en dénonçant à l’opinion publique mondiale les persécutions dont les Juifs sont victimes en Europe de l’Est... Gross montre qu’après la guerre, l’économie morale de la société polonaise dans son ensemble autorise le meurtre de Juifs. Ni les communistes ni l’Église ne veulent admettre l’engagement massif de Polonais « normaux » dans le pogrom de Kielce. Durant la Shoah, la majorité des Polonais ont assisté dans l’indifférence à l’extermination des Juifs et ont pu se réjouir de voir les Allemands les débarrasser de cette minorité nationale, en particulier durant de la révolte du ghetto de Varsovie. Comme l’écrit dans un rapport de septembre 1941, au gouvernement polonais en exil à Londres, le général Rowecki, commandant en chef de la résistance armée (la future Armée de l’Intérieur, Armia Krajowa – AK), la majorité du pays est antisémite, y compris les socialistes.
Roland Baumann, « « La Peur » : le pogrom de Kielce et l’antisémitisme en Pologne après la Shoah », Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine [En ligne], 7 | 2006, mis en ligne le 01 octobre 2020, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/cmc/848 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cmc.848
[1] J. T. Gross, Sąsiedzi. Historia zagłady żydowskiego miasteczka, Sejny, Fundacja Pogranicze, 2000.
Génocide juif : la Pologne face à ses démons
En légiférant pour contester toute complicité polonaise au génocide des juifs, le gouvernement nationaliste au pouvoir entend mettre l’Histoire sous tutelle.
Il ne lui a pas suffi, depuis qu'il est revenu au pouvoir en 2015, de compromettre l'avenir du pays en grignotant l'Etat de droit. Le gouvernement du parti Droit et Justice, mouvement nationaliste catholique eurosceptique, veut donc également s'attaquer au passé de la Pologne.
Si la loi actuellement présentée va au bout de son parcours, il sera donc désormais interdit à quiconque, sous peine de prison, de parler de participation polonaise au génocide des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale : pour ceux qui sont au pouvoir à Varsovie, le pays, forcément héroïque, est pur de ce crime, oser l'y associer relève du blasphème.
Un dérapage hallucinant
La mesure, accompagnée d'un dérapage hallucinant de la part du Premier ministre voulant la défendre (il a parlé d'"auteurs juifs de la Shoah") a soulevé un tollé mondial et remis, une fois de plus, une très sombre période de l'histoire polonaise sous le feu des projecteurs.
Comme on vient de le voir, l'affaire se focalise sur un aspect de cette histoire : le génocide juif. En l'occurrence, personne ne conteste sa réalité sauf quelques négationnistes. Dès l'occupation de la Pologne, en 1939, les nazis ont mis en place une machine de mort d'une effroyable efficacité, en enfermant la population juive dans des ghettos pour l'affamer puis, à partir de décembre 1941, en l'envoyant dans des camps d'extermination, à Treblinka, Sobibor ou Auschwitz. En 1945, 3 millions de juifs polonais - c'est-à-dire 90% de la plus grande communauté juive au monde avant la guerre – avaient été exterminés.
Un antisémitisme virulent
Les Polonais non juifs sont-ils responsables de ce crime ? Non. Il est néanmoins vrai que les Allemands ont pu le perpétrer dans la relative indifférence d'une partie de la population, gangrenée par un antisémitisme virulent. Il est tout aussi exact que cette haine a pu aussi se transformer en folie meurtrière sans que les Allemands y prennent part, comme nous l'indiquent deux exemples emblématiques : le massacre d'un millier de juifs par des paysans polonais dans le bourg de Jedwabne, en juillet 1941, et le pogrom de Kielce – une quarantaine de morts – qui a lieu en 1946, un an après la fin de la guerre.
La campagne de France
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Libération de Paris : pourquoi il n’y a (presque) pas de Noirs sur les photos
Les photos de 1944 représentent rarement des soldats noirs, victimes de la politique ségrégationniste américaine, jusque dans la 2e DB du général Leclerc.
Presse Libération FFI, 25 août 1944. Reddition de la Kommandantur : des prisonniers allemands escortés par des résistants et des soldats de la 2e DB, avenue de l’Opéra, IXe arrondissement. (Photo Presse Libération. FFI. in catalogue de l’exposition « Paris libéré, Paris photographié, Paris exposé » au musée Carnavalet. © Paris Musées, 2014).
Et c’est bien leur absence qui surprend les visiteurs de l’exposition. Car l’histoire du « blanchiment » des armées françaises, et en particulier celui de la deuxième division blindée du général Leclerc (2e DB), unité chargée de libérer Paris de l'occupant allemand, est encore peu connue. Tout comme celui des armées américaines. « En 1943, c’est un fait, les Américains ont envoyé à la division Leclerc des directives ségrégationnistes, explique l’historienne spécialiste de la Seconde Guerre mondiale Christine Levisse-Touzé. Il faut toutefois préciser que lorsque Leclerc crée cette division près de Casablanca, c’est un rebelle. Il rompt le sacro-saint principe d’obéissance à l’armée française et se retrouve dans l’obligation d’appliquer les directives américaines, puisque ce sont les Etats-Unis qui équipent et instruisent la 2e DB. » Mais en 1943, les Américains pratiquent encore une politique ségrégationniste sur leur sol, y compris dans leurs armées. Ce n’est qu’en 1948 que le président américain Harry Truman ordonnera la déségrégation de l’armée américaine. Jusque-là, les Américains « jugent que les Noirs ne sont pas utilisables partout, et surtout pas dans une division blindée, telle que celle du général Leclerc ». En conséquence, le général Leclerc se sépare des 3 603 citoyens de l’empire que compte alors sa division. Tous se retrouvent contraints de choisir entre la démobilisation et l’intégration d’une division d’infanterie. Tous sauf un : Claude Mademba Sy, tirailleur sénégalais et pupille de la nation, décédé en avril 2014. « C’est parce qu’il a fait des études et grâce à son statut de citoyen français, et non de citoyen de l’empire, qu’il a pu rester jusqu’au bout », précise Christine Levisse-Touzé.
Le retrait des tirailleurs sénégalais de la Première armée française en 1944
Hérésie stratégique, bricolage politique ou conservatisme colonial ?
Pour quelles raisons les tirailleurs sénégalais présents sur le sol métropolitain depuis le débarquement de Provence lors des combats de la Libération sont-ils retirés du front à l’automne 1944 ? Les autorités politiques et militaires de l’époque ont évoqué́ une mesure de prévention destinée à épargner aux soldats issus des colonies les difficultés climatiques de l’hiver. Depuis, les historiens ont remis en cause cette argumentation. Claire Miot ouvre à nouveau le dossier, archives à l’appui, et présente les considérations politiques et culturelles qui ont présidé́ à cette décision étonnante, voire contre-productive, du point de vue militaire.
À l’automne 1944, plus de quinze mille tirailleurs sénégalais sont retirés du front de la Première Armée française dans la région de Belfort et transférés dans le Sud de la France. Ni véritable relève, ni tout à fait hivernage, cette curieuse opération de « blanchiment », ou « blanchissement » pour reprendre les termes de l’époque, soulève encore de nombreuses interrogations (…). Volontaires ou conscrits, ces tirailleurs sénégalais sont, à l’automne 1944, en majorité́ des soldats expérimentés. Le retrait de 15 000 à 20 000 de ces soldats, alors que s’amorcent les durs combats des Vosges, et que le général de Gaulle veut lancer le maximum d’hommes dans l’assaut final contre le Reich, a donc de quoi surprendre (…).
Inachevé́, le « blanchiment » des troupes noires semble surtout apporter des difficultés supplémentaires à une armée française enlisée dans les Vosges face à une résistance allemande devenue farouche (…). Le retrait des tirailleurs est donc couteux d’un point de vue logistique, peu défendable en termes d’efficacité militaire et comporte des risques pour le moral des troupes. Comment donc le justifier ?
Le froid, un prétexte ?
C’est la raison (souvent unique) qu’invoquent les autorités militaires et politiques. La supposée inadaptabilité des soldats noirs traduit les représentations et les pratiques de l’armée française depuis le début du 20e siècle.
L’effet de l’hiver précoce sur les tirailleurs sénégalais renforce certainement les officiers dans leur conviction que ces soldats résistent mal aux basses températures. Les maladies liées au froid apparaissent très vite : le 27 septembre, 36 tirailleurs sont soignés pour des infections liées au froid, 10 autres sont évacués. Quelques cas de gelures de pieds légères sont mentionnés. Mais les tirailleurs sénégalais ne sont pas les seuls à souffrir des frimas. Au 4e régiment de tirailleurs marocains, des cas de pieds gelés sont également relevés dès le début du mois d’octobre 1944. Au cœur de l’hiver 1944‐1945, les évacuations pour « pied de tranchée » se comptent par plusieurs dizaines dans toutes les unités de la Première Armée : 492 cas sont par exemple recensés à la 1re DMI (pourtant « blanchie ») entre le 22 janvier et le 4 février 1945.
Toutefois le froid ne saurait être considéré́ comme une raison de second ordre au « blanchiment ». Les décideurs militaires de 1944 croient réellement au danger de maintenir les tirailleurs sénégalais en ligne en plein hiver. Le général de Gaulle invoque les mêmes raisons lorsqu’il ordonne, en février 1945, le retrait des 1 600 soldats antillais et réunionnais du front.
Des troupes peu dignes de confiance ?
À l’été 1944, les troupes africaines comme nord‐africaines ont une réputation ambiguë. Si leur courage au feu est loué par la hiérarchie militaire, leur indiscipline est largement décriée. Les exactions commises par les goumiers marocains en Italie ont provoqué́ un véritable scandale (…).
L’automne 1944 et l’hiver 1945 sont marqués par de nombreux incidents chez les tirailleurs sénégalais, en métropole comme en Afrique, dont la révolte des rapatriés du camp de Thiaroye[1], début décembre 1944 (…).
Une décision sous contrainte
Le retrait des troupes noires du front a lieu de façon quasi concomitante à l’intégration des FFI. Les tirailleurs sénégalais sont remplacés par des résistants. En effet, le Gouvernement provisoire de la République française, s’il avait imaginé́ le recrutement de volontaires FFI pour pallier les pertes de l’armée à mesure de la libération du territoire, n’avait certainement pas mesuré l’ampleur du phénomène. Or, il est politiquement nécessaire d’associer les FFI à la libération du territoire et à la lutte contre l’ennemi (…).
Le retrait des troupes noires de la Première Armée répond indéniablement à des objectifs politiques, c’est‐à‐dire à l’urgence de l’intégration des FFI au sein de l’armée régulière. Du point de vue de l’opinion publique, tant nationale qu’internationale, il apparait comme primordial que la France soit libérée par une majorité́ de combattants métropolitains, et que le pouvoir gaullien ne laisse pas de côté des milliers d’individus armés susceptibles de s’opposer à lui, même si les velléités révolutionnaires du Parti communiste français doivent être relativisées (…).
[1] Révolte des rapatriés du camp de Thiaroye : massacre qui s'est déroulé dans un camp militaire de la périphérie de Dakar au Sénégal le 1er décembre 1944 quand des troupes coloniales et des gendarmes français ont tiré sur des tirailleurs sénégalais, anciens prisonniers de la Seconde Guerre mondiale récemment rapatriés, qui manifestaient pour le paiement de leurs indemnités et le versement du pécule qui leur était promis depuis des mois. Le massacre à fait de 35 à 70 morts.
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